Article paru le 08.10.2024
Spiritualité secrète :
Les francs-maçons d’Yverdon lèvent un pan de mystère
En bref:
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La loge maçonnique d'Yverdon s'ouvre, tout en gardant son aura de secret.
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Fondée en 1874, la loge regroupe environ 50 membres aujourd'hui.
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La symbolique chrétienne est centrale, mais toutes les confessions sont acceptées.
Sur les piliers du temple et sur les draperies dominant l’autel, les symboles abondent: le compas et la règle, des couronnes de laurier, un «G» pour représenter la géométrie… L’imagerie maçonnique et son lexique emprunté aux bâtisseurs fascinent autant qu’ils questionnent, quand bien même les loges vaudoises s’ouvrent aujourd’hui plus facilement pour se faire connaître. Le mouvement garde un fort parfum de secret. «Nous ne sommes pas secrets, nous sommes discrets», corrige Jean-Paul Ciana en nous accueillant dans le bâtiment sis à la rue Pestalozzi 7, à Yverdon.
C’est ici que se réunissent depuis près de cent cinquante ans les «frères» de la loge yverdonnoise, baptisée Fraternité. «Elle a été fondée par quatorze frères qui fréquentaient à l’époque des loges différentes, notamment à Lausanne», poursuit celui qui fut un temps le vénérable de Fraternité et qui endosse désormais le rôle de maître des cérémonies.
Les premières réunions se déroulent au Café du Tilleul, alors situé à la rue des Remparts. L’atelier yverdonnois grandit rapidement: en deux ans, son effectif a doublé. Et une dizaine d’années plus tard, il compte une centaine de fidèles. Ses membres construisent leur temple en 1878 dans le bâtiment de la rue Pestalozzi.
Un siècle et demi plus tard, l’endroit reste méconnu. La communauté, qui compte aujourd’hui une cinquantaine de membres, ne se cache pourtant pas: la règle et le compas sont bien visibles sur la façade de l’édifice. Elle a organisé une série de conférences tout au long de son jubilé. Et elle a aussi publié une plaquette retraçant ses cent cinquante ans d’existence.
Photo Jean-Paul Guinnard
À l’occasion de ce 150e, les frères – dont Claude-Alain Habegger (à gauche) et Jean-Paul Ciana – veulent tordre le cou aux mythes qui entourent la franc-maçonnerie.
Plusieurs pages ont été retirées de l’exemplaire que nous remet le maître des cérémonies. Elles décrivent le rituel pratiqué pour célébrer l’anniversaire. Une censure qui trahit la volonté de cacher certains secrets aux profanes? «À ceux dont je sais qu’ils ne s’intéresseront jamais à nous rejoindre, je peux tout dire, répond l’entrepreneur. Mais pour les autres, il faut que cela reste une découverte.»
Membre de Fraternité depuis vingt-quatre ans et maître de la colonne d’harmonie, Claude-Alain Habegger ajoute: «Même entre nous, on ne parle pas de notre initiation. C’est un moment très fort, que chacun vit à sa manière. C’est impossible à décrire.»
«Beaucoup de mythes»
À en croire cet ancien policier à la retraite qui parle du bien-être que lui procure cette quête spirituelle, «il y a beaucoup de mythes autour de la franc-maçonnerie». Dans l’imaginaire collectif, cette société reste soit une secte, soit un club service. «Nous ne sommes ni l’un ni l’autre, réagit Jean-Paul Ciana. Nous ne nous réunissons pas pour réseauter ou négocier des avantages. Nous avons pour adage «Laissez les métaux à la porte du temple.» Ces métaux, ce sont la valeur économique ou sociale des membres: on ne parle pas de travail, de politique ou de religion.»
Quant à la notion de secte, l’Yverdonnois la réfute également: «Je retiens qu’il est facile d’entrer dans une secte et très compliqué d’en sortir. Chez nous, c’est l’inverse: le processus d’acceptation peut durer de six mois à une année; il est ponctué de plusieurs entretiens, mais une lettre suffit pour démissionner.»
La symbolique chrétienne est au centre de la foi maçonnique, mais ses loges acceptent aujourd’hui des membres de toutes les confessions. «Le prérequis est qu’il faut avoir une croyance.» Car la spiritualité est au centre du système maçonnique, qui cherche à approcher le grand architecte de l’univers. Deux pierres installées au centre du temple – l’une brute, l’autre taillée – l’illustrent: «Vous entrez comme la première et vous devriez ressortir à l’image de la seconde.»